“Habiter la terre”
“Habiter la terre”
Youssef Wahboun
(…) La démarche de Fatiha Zemmouri est fondée sur une correspondance indéfectible entre la pensée et l’habilité technique mais ne sacrifie pas les vertus cathartiques de l’art, l’aptitude de l’acte créateur à figurer les agitations de l’âme dans le matériau le plus indocile. C’est à la lumière de cette approche lyrique de la matière que se donne à lire, à la galerie Le Comptoir des Mines, l’exposition « Habiter la terre », une série de supports en bois couverts de terre, la terre de Tahannaout où l’artiste vit et travaille depuis cinq ans. L’artiste ne contesterait pas qu’on voie dans cet intérêt pour la terre une alerte au mal de la planète ou l’indexation d’une responsabilité universelle, mais c’est d’abord une émotion tout individuelle qui donne le départ au projet : « Mon intention est de partager ma contemplation de la terre ». Autant dire donner à l’appréciation l’univers de formes et de volumes que l’étendue permanente suggère à son imaginaire.
Le processus qui sous-tend cette nouvelle aventure renseigne sur la délectation de l’artiste. Des parcelles de terre sont introduites à l’atelier, épurées à volonté, mélangées aux liquides nécessaires à leur manipulation comme à leur vie future, puis étalées sur des supports en bois aux bordures imperméables. La délectation se traduit aussi dans les nouveaux gestes qu’inspire ce dialogue avec la glaise une fois la surface plastique apprêtée. Dans les séries antérieures, il est question de brûler, briser, froisser, effilocher, planter, suspendre… Des gestes où la désolation l’emporte sur le bien-être.
Le traitement de la terre ramène à la sérénité d’un dessin régulier, cinétique, persévérant, qui se développe en de larges zones géométriques convoquant des dédoublements et des agencements symétriques. Le contact de la main avec la terre s’en trouve à mi-chemin entre celui du sculpteur et celui du graveur. Des reliefs s’organisent en sillons dont la lumière révèle l’ordonnancement impeccable. Ils avancent en ensembles de stries qui se courbent et s’interrompent pour occasionner des ondes déviées, des rotations inachevées.
Dans certaines pièces, cette floraison de routes parallèles donne l’impression d’architectures urbaines vues à une certaine altitude. Cette fois le concours de l’accident est obtenu des craquelures que subit la terre séchée et qui étalent leur propre trame sous les compositions réalisées par la main. Quant à la couleur, elle ne se contente pas de celle de la terre. Souvent un ton voisin heurte la monochromie du support pour, sans prétendre au contraste, restituer au fond sa fonction de faire-valoir. On parle souvent de poésie devant les œuvres de l’artiste.
Dans ce regard porté sur la terre, le poème consiste en de savantes combinaisons architectoniques, la flamme intérieure cède à une versification à l’harmonie scrupuleuse. Les amateurs seraient aussi admiratifs de la polysémie du titre : « Habiter la terre », le globe comme la vie terrestre et, en guise d’hommage personnel, la terre de Tahannaout qui, symboliquement, s’arrache à son espace naturel pour s’attribuer un nouveau destin. Mise ainsi à l’abri de toute agression, elle survivra au plus assidu de ses spectateurs.
Extrait du texte “Leçon de maîtrise” paru dans le catalogue de l’exposition “Habiter la terre”,
Comptoir des Mines Galerie, Marrakech, 2022