Intra Muros
Comptoir des Mines Galerie, Marrakech, 2020
Fatiha Zemmouri Intra Muros
Hicham Daoudi en dialogue avec Reda Zaireg
L’artiste aime en parler à sa façon, en inventant une géographie du sensible avec ses cartes pliées et jetées au sol, comme des brouillons préparatoires à l’exil qui tordent des destins et jettent continuellement sur les routes des êtres hagards et incertains.
Ces cartes contrastent avec les dessins à la feuille d’or de cités glorieuses qui exercent leur polarisation et leur pouvoir de commandement sur des populations entières : séduites et entraînées par des rêves de vie meilleure, elles abandonnent la précarité de leurs terres en quête d’une dignité refusée. L’artiste représente cette recherche de dignité en utilisant des cartes géographiques coloniales et des carnets de route imprimés sur différents supports, qui indiquent la marche de l’histoire, les injustices du passé et les divisions du présent. Cette utilisation de la cartographie coloniale rappelle l’une des fonctions premières de la géographie : classifier et hiérarchiser les terres selon leur prodigalité ou leur dèche, leurs splendeurs et leurs misères. Quand l’humain apparut dans la carte coloniale, ce fut pour l’affecter à des catégories préétablies, différenciées par des appartenances tribales ou des « genres de vie » (2) : l’humain n’était qu’une extension mouvante de la terre, d’elle il découlait et à elle il appartenait.
L’Afrique coloniale et la conférence de Berlin de 1885 sont évoquées, mais Fatiha Zemmouri préfère aborder le temps présent, où plus de 70 fortifications ont été érigées depuis la chute du mur de Berlin.
En parlant de la terre, Fatiha Zemmouri parle évidemment de l’humain, de sa phobie de l’étranger décrit comme indésirable, qu’exploitent des gouvernants pour régner sur les peurs et les consciences en assignant des groupes d’individus à des identités univoques et surveillées.
Intra-muros est un témoignage subtil et engagé de Fatiha Zemmouri, que nous sommes fiers d’accueillir et de présenter aux publics car nous partageons sa volonté de dénoncer les murs qui fragmentent notre communauté de destin. Il s’agit d’une valeur sacrée à laquelle nous adhérons. Aujourd’hui sanctifiés, intégrés au gospel patriotique de plusieurs pays, les murs, les clôtures et les frontières stratifient notre monde et remplissent des fonctions de filtrage et de « tri sélectif ». Elles subdivisent la planète en coupures.
Depuis Marrakech, à partir de ce grand événement artistique voulant mettre en avant l’intensité de la vie artistique du continent, nous continuons à militer contre ces barrières entre le Nord et le Sud qui déclassent les individus et les « valident » selon leur catégorie sociale, leur religion et leur culture.
« L’espace est un croisement de mobiles. Il est en quelque sorte animé par l’ensemble des mouvements qui s’y déploient. Est ‘’espace’’ l’e et produit par les opérations qui l’orientent, le circonstancient, le temporalisent et l’amènent à fonctionner en unité polyvalente de programmes conflictuels ou de proximités contractuelles ».
Michel de Certeau, L’invention du quotidien : Arts de faire.
Texte paru dans le catalogue de l’exposition,
Comptoir des Mines Galerie, Marrakech